Cum patientia subportantes invicem in charitate

Supportez-vous les uns les autres avec patience en esprit de charité (Ephésiens 4,2)

La conduite que Dieu tient à notre égard doit être le modèle de celle que nous devons tenir à l’égard de notre prochain. Comme il nous aime et qu’il nous supporte avec bonté malgré nos vices et les outrages que nous lui faisons, de même il veut que nous aimions et que nous supportions nos frères, malgré le mal qu’ils pourraient ou voudraient nous faire, malgré les défauts qu’ils peuvent avoir. Que celui donc qui aime Dieu aime aussi son prochain.

Hélas ! Que deviendrons-nous si notre divin maître nous juge à cet égard suivant la rigueur de son Evangile ? La vérité qui nous est plus expressément recommandée est précisément celle qu’on pratique le moins. Prenons-y garde, mes frères, et supportons-nous les uns les autres pour l’amour de Jésus Christ. « Ne faisons jamais à un autre ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit. »

Nous avons chacun nos défauts, nous sommes bien aises qu’on les supporte ; il est donc bien juste 1er que nous supportions ceux d’autrui, 2ème puisque Dieu nous supporte les uns les autres, tout imparfaits et tous pécheurs que nous sommes, à plus forte raison devons-nous nous supporter mutuellement. Rien de plus digne de notre attention.

Nous apportons en naissant un fond de misères et d’imperfections qui infecte tout le cours de notre vie. Dès notre enfance, nous n’avons que des inclinations vicieuses à réprimer, que des vices à déraciner, que des passions à combattre. N’ayant de nous-mêmes que le mal et le penchant au mal, nous ne sommes sages et vertueux qu’à force de nous faire violence et encore malgré le secours de la grâce, il n’y a pas un seul homme qui avec toute sa vertu puisse se flatter d’être irréprochable de sorte que les hommes les plus vertueux, les plus sages, sont ceux qui ont le moins d’imperfections. Chacun a ses défauts, tout le monde le dit, tout le monde convient de cette vérité et personne ne s’en fâche.

 

Mais pourquoi les hommes conviennent-ils en général d’avoir des défauts et ne souffrent-ils qu’avec peine qu’on les accuse en particulier de tel ou tel défaut ? Dites en particulier à un homme qu’il s’estime trop, faites lui apercevoir qu’il a des sentiments de vaine gloire, il s’en mécontente. Prenons ainsi tous les défauts, les uns après les autres, faisons-les apercevoir à ceux qui en sont dominés et nous ferons des mécontents ; tant il est vrai que nous n’aimons pas à convenir de nos défauts, que nous trouvons mauvais qu’on les aperçoive et qu’on nous les reproche, quoique nous disions volontiers que nous ne sommes pas parfaits et que nous avons des défauts comme tout le monde.

Si donc, mes frères, nous trouvons mauvais qu’on nous reproche nos défauts, pourquoi révéler les défauts des autres. Les lois de l’Evangile et les devoirs de l’humanité ne  sont-ils pas faits pour nous comme pour les autres ? Jésus Christ ne nous dit-il pas que tout royaume divisé en lui-même sera désolé. [Luc 11-17] Omne regnum in ipsum divisum desolatur. Platon, un des sept sages de la Grèce, dit qu’il n’y a rien de plus pernicieux dans une république, par conséquent dans un royaume, dans un empire, que la discorde et la désunion ; ni rien de plus utile et de plus profitable que la paix et la bonne intelligence des citoyens. Si un païen parlait de la sorte, que ne devrait pas dire et penser un chrétien ? Supportons donc les défauts des uns des autres, par là nous accomplissons la loi de Jésus Christ.

Il me semble, mon cher frère, ma très chère sœur, vous entendre dire : « je ne suis pas parfait, je le sais bien, mais après tout, que peut-on me reprocher ? Je ne suis ni libertin, ni ivrogne. Je ne fais de mal à personne. Grâce à Dieu, j’ai des sentiments d’honneur et de religion. Je soulage les pauvres quand je le peux. Que peut-on me reprocher ? Je sais bien que je ne suis pas parfait. » Le pharisien en disait autant que vous, mon cher frère et cependant il fut condamné par Jésus Christ. Vous n’êtes (dites-vous) ni libertin, ni injuste, ni vindicatif, ni avare, ni jureur, ni ivrogne. Ne vous en glorifiez pas. Vous ne faites que votre devoir. Si vous aviez été mis à certaines épreuves, peut-être seriez-vous tombé dans ces fautes et dans de plus grandes encore. Rendez-en grâce à Dieu qui a eu pitié de votre faiblesse et sachez qu’il n’y a point de péchés dans lesquels l’homme ne puisse tomber si celui qui a créé l’homme vient à détourner de lui les regards de sa miséricorde.

Ainsi les hommes tous contents d’eux-mêmes aperçoivent la paille qui est dans l’œil de leurs frères, ils « croyent » quelquefois même y voir celle qui n’y est point et ils ne sentent pas, ils ne « voyent » pas la poutre qui est dans le leur et les aveuglent. Ils vont toujours se plaindre les uns des autres et leurs défauts réciproques qui devraient les engager à se supporter mutuellement sont au contraire la cause pour laquelle ils ne peuvent se souffrir. Pauvre humanité, que tu es à plaindre !

Il faut donc le dire, mes frères, et le dire à notre confusion, ce monde fourmille de maladies de toutes espèces. On y voit une infinité de malades qui, au lieu de penser à leur guérison se reprochent leurs infirmités les uns aux autres. Les aveugles se moquent des sourds. Les sourds se moquent des boiteux. Les boiteux des paralytiques. Et que nous ferions bien mieux de nous regarder nous-mêmes, d’ôter la poutre qui est dans notre œil afin d’apercevoir nos propres défauts [Galates 6,2]. Portons les fardeaux les uns des autres et de cette sorte nous accomplirons la loi de Jésus Christ. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour est parfait en nous.

Ne perdons jamais de vue, qui que nous soyons, les droits que notre prochain a sur nous. Il a droit d’exiger que nous pensions, que nous parlions, que nous agissions à son égard comme nous serions bien aise qu’on pensât, qu’on parlât, et qu’on agît envers nous si nous nous trouvions dans le même état, dans la même position, dans les mêmes circonstances. Il a droit par conséquent d’exiger que nous ne le jugions point. Sans l’avoir entendu, que nous ne le condamnions point sur de simples rapports. Il a droit par conséquent d’exiger que nous en disions du bien devant ceux qui en disent du mal, que nous l’excusions quand on l’accuse. Il a droit par conséquent d’exiger que nous lui pardonnions quand il nous offense, que nous lui rendions tous les services qui sont en notre pouvoir, que nous le traitions en tout et partout comme un autre nous-mêmes.

Nous devons aussi nous aider, nous soulager réciproquement les uns les autres et comme la charité demande cela de chacun de nous, aussi est-elle extrêmement blessée lorsqu’on néglige ce devoir important de la charité. Songeons que plus nous aurons de peine, plus aussi nous aurons de mérite.

Ah ! chrétiens, levons, levons les yeux vers Jésus Christ. Ce divin Sauveur a donné sa vie pour nous et nous devons à son exemple donner la nôtre pour nos frères. Recourons à ce médecin tout puissant qui tient dans sa main le remède efficace de toutes les maladies et demandons-lui qu’il nous guérisse, admirons la bonté avec laquelle il nous souffre. Que la vue de cette bonté infinie nous ferme la bouche, les yeux, les oreilles, sur les défauts et sur les imperfections de nos semblables.

« C’est mon précepte, dit Jésus Christ à ses chers disciples, que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Si vous vous aimez les uns les autres, tous reconnaîtront à cette marque que vous êtes mes disciples. Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. Dieu fait du bien à tous, faisons-en pour l’amour de Dieu à tous ceux à qui nous pouvons en faire. »

Du reste, mes frères, réjouissez-vous, soyez parfaits, encouragez-vous les uns les autres, ayez tous les mêmes sentiments et une même  volonté. Vivez dans la paix et le Dieu de paix et de dilection demeurera avec vous éternellement. Ainsi soit-il.